Disquaire Day 2016 : rencontres avec deux disquaires emblématiques de Toulouse

Le samedi 16 avril, nous vous donnons rendez-vous pour célébrer le Disquaire Day ! Avec onze boutiques à son actif, Toulouse est la seconde ville de France en termes de disquaires indépendants. De tous les styles, de toutes les époques et pour tous les âges, ils vous ouvrent spécialement leurs portes samedi pour une journée festive et musicale. Concerts, expositions et rencontres sont au programme de l’événement destiné à tous les amateurs de vinyles et passionnés de musique. Avant-Mardi s’est rendu dans deux boutiques du centre-ville : Le Laboratoire et Croc Vinyl. Regards croisés des disquaires sur leur vision du métier, l’importance d’une journée comme le Disquaire Day et leur affection pour la musique.

Le Laboratoire

IMG_7339Seize ans déjà que Cédric s’est installé à Toulouse. Dans son laboratoire du centre-ville, on recherche des pépites sonores, on découvre des artistes, on mélange les styles et les époques. Surtout, on grandit au fil des évolutions musicales tout en conservant cet attachement précieux à la qualité sonore et physique du disque. Finalement, Le Laboratoire est un véritable espace de recherche pour tous les passionnés de vinyles et amoureux des disquaires.   

Lire notre rencontre avec Cédric

 

Pourquoi le Disquaire Day est un événement important pour toi ?

C’est un peu Noël avant l’heure pour tous les disquaires indépendants. Le Disquaire Day nous permet d’avoir une visibilité que normalement nous n’avons jamais. Les grands médias comme France Télévision, Le Monde ou les Inrocks parleront que de nous et pas des grandes enseignes. C’est important d’avoir cette journée dédiée aux disquaires indépendants, et elle nous sert beaucoup, rien que financièrement.

Le Laboratoire organise un événement le 16 avril, peux-tu nous en parler ?

Le CALIF (l’institution parisienne qui organise le Disquaire Day en France) nous demande pour cette journée de nous mettre en avant de différentes façons. Nous allons recevoir des disques qui vont sortir exclusivement ce jour-là chez les disquaires indépendants. Mais s’ajoutent à cela des expositions de photos ou de pochettes d’albums originales, et lorsqu’on a la possibilité, des showcases. Nous ouvrons le magasin à des artistes toulousains, généralement des amis ou des clients. C’est aussi cela être disquaire indépendant, on s’entraide localement. Au Laboratoire, le groupe Alone with Everybody proposera un set acoustique de 40 minutes samedi à partir de 18 heures. Le soir, une soirée de clôture est également organisée au Connexion Live.

Quelles sont les problématiques d’un disquaire indépendant ?

Le problème majeur est le prix du disque. Le retour à la mode du vinyle attire des grandes maisons de disques qui rééditent énormément de références. Elles font gonfler les catalogues et en même temps les prix. Certains disques amortis depuis des années, comme ceux des Beatles ou des Rolling Stones, sont à nouveau pressés en vinyles et vendus à des prix vraiment farfelus. Notre politique est de ne pas mettre les prix que nous devrions mettre : on ne fait pas notre marge mais on les propose quand même. Lorsqu’ils sont vraiment trop chers, on préfère ne pas les acheter. Il fut un temps où les disques étaient vendus entre 15 euros et 20 euros. Aujourd’hui certains sont vendus à 30 euros. Le disque vinyle devient un produit de luxe et non plus un produit culturel. 

Le vinyle est-il une mode éphémère ou un phénomène bien plus pérenne ?

Selon moi, plus il y aura une dématérialisation de la musique, plus il y aura une opposition à cette consommation de la musique. Certaines personnes auront toujours besoin de posséder des produits physiques. Une pochette de vinyle n’a rien à voir avec une cassette audio, un CD ou un téléphone portable. Des personnes veulent une pochette, un objet, une platine et du bon son et pas seulement écouter de la musique comme ils regardent la télévision, à la va-vite. Ils font vraiment attention à la manière dont ils écoutent la musique. 

Qui sont les clients de ta boutique ? La jeunesse en fait-elle partie ?

Je trouve que les jeunes écoutent surtout de la merde, pas ceux que je vois dans ma boutique (et il y en a beaucoup) mais en général. J’ai deux enfants, je côtoie beaucoup de familles et je fais ce constat. Ils vivent avec leur temps et j’écoutais aussi tout ce que j’entendais à la radio à leur âge. Cependant je pense qu’avec Internet et la prolifération des médias il y a aujourd’hui une possibilité de développer sa culture musicale autrement. Il n’y a jamais eu autant de musiques disponibles, et pourtant nous revenons toujours aux mêmes artistes. Par contre les musiques très commerciales n’existent pas en support vinyle, à deux ou trois exceptions près.

Aussi, je constate que notre clientèle est de plus en plus large. Il y a maintenant un public intéressé par les esthétiques de radio Nostalgie, Chérie Fm ou RFM. Ils viennent chercher des disques de Police, Supertramp ou Francis Cabrel, que nous vendions peu auparavant. A priori les personnes vont rester attirés par le vinyle, cela fait déjà quelques temps que ça dur et ça ne diminue pas. Tant mieux d’ailleurs. 

Comment es-tu devenu disquaire ?

Je faisais de la radio à Montpellier au RockStore. Un jour, la fréquence de la radio a été vendue au groupe NRJ pour devenir Rire & Chanson. Je fréquentais énormément de magasins de disques et je me disais à l’époque que ça devait être super de tenir une boutique. Un ami m’a parlé de Toulouse en me disant que c’était une ville très étudiante où il se passait beaucoup de choses. Aujourd’hui, cela fait seize ans que j’y ai installé le Laboratoire.

Toulouse est la seconde ville de France en terme de disquaires. C’est une fierté, une difficulté ?

Il y a de la concurrence mais ça nous fait avancer. Nous sommes toujours en train de réfléchir à ce qui pourrait nous démarquer. Il y a un esprit de compétition forcément, mais journalière. Nous sommes onze disquaires indépendants, nous participons à la vie culturelle et musicale de la ville rose. Ici nous avons fondé un label, nous sommes sponsor de soirées et nous organisons des concerts… L’objectif est de faire vivre l’actualité musicale toulousaine et d’être au plus près des attentes de chacun. Nous ne vendons pas seulement des disques.

Es-tu serein pour la suite ?

En tant que commerçant on ne sait jamais ce qui va advenir. On essaye d’être à l’écoute de la clientèle : si on réalise qu’il y a une nouvelle vague autour du blues, on va orienter nos commandes en fonction de cela, de même pour le reggae ou le hip-hop, qui connaît un vrai retour en force. Le Laboratoire a une esthétique généraliste, on reste donc à l’écoute de la clientèle. Mais c’est toujours difficile de savoir comment cela se passera dans six mois ou dans trois ans. Je me dis néanmoins que cela fait seize ans que cela dure : pourquoi ça s’arrêterait ?

Si tu devais choisir un vinyle dans ta boutique, lequel prendrais-tu ?

Je prendrais I Should Coco de Supergrass, un groupe anglais d’Oxford. C’est le premier album du groupe, qui aujourd’hui n’existe plus. Le disque a été réédité en 45 tours avec deux inédits. C’est un groupe qui m’a toujours accompagné. Cet album est sorti lorsque je faisais de la radio et de le voir aujourd’hui à la vente dans ma boutique, ça me fait quelque chose. C’est mon album nostalgie. 

Le Laboratoire, 9 rue de la Bourse, 31000 Toulouse. Tel : 05 61 21 96 17. 

Croc Vinyl

IMG_7342Croc Vinyl, c’est avant tout une expérience : celle d’une boutique qui existe depuis trente ans, et de son créateur, Eugène. C’est aussi l’histoire d’un passionné de musique à l’indépendance explicite qui porte dans son coeur un amour véritable pour le vinyle. Forcément, le Disquaire Day n’est donc pas un jour comme les autres. De l’exposition organisée le mercredi 13 avril à la soirée de clôture préparée avec le Laboratoire samedi soir, Eugène s’investit pour que le disque vive, que la musique se développe, que le vinyle demeure. 

Lire notre rencontre avec Eugène

Pourquoi le Disquaire Day est un événement important ? 

Le Disquaire Day est un événement important pour nous tout d’abord parce qu’il met non seulement le disque en avant mais aussi notre profession. Les médias en parlent et c’est important en terme de publicité. D’un point de vue purement commercial, c’est l’une des meilleures journées de l’année pour nous. Aussi, c’est important pour nous car on ne rappelle jamais assez le fait que la musique est un produit culturel avant tout. On s’aperçoit avec le retour du vinyle qu’il y a un intérêt grandissant de la part des jeunes. C’est vraiment chouette. 

Comment voyez-vous cet attrait nouveau pour le vinyle ?

Avec notre expérience à Croc Vinyl, c’est vrai que l’on pensait que ça ne serait qu’un phénomène de mode éphémère. On est les premiers surpris de voir que ce n’est pas le cas. Peut-être qu’au début c’était une mode, mais plus maintenant. Cela a permis aux jeunes de découvrir le vinyle, qu’un morceau ne sort jamais seul mais à la suite d’un certain nombre de chanson. Un vinyle s’écrit un peu comme un livre, avec un début et une fin. Les morceaux ne sont pas additionnés les uns aux autres, ils ont une histoire. En bref, cela a permis aux jeunes de comprendre que la musique c’était autre chose que du téléchargement, des morceaux pris au hasard. Un vinyle, c’est une œuvre.

La jeunesse s’intéresse-t-elle au vinyle ?

Je pense qu’il existe maintenant deux grandes familles qui se distinguent dans leur rapport à la musique. La première est celle qui télécharge. Ces personnes écoutent de la musique comme s’ils faisaient autre chose et ont été habitués à cela. La seconde famille, qui devient de plus en plus importante, c’est une famille de passionnés. Ses membres vont chercher l’histoire de la musique, l’histoire des groupes, vont revenir en arrière afin d’avoir des bases, se plonger dans les années 1960, 1970 et 1980. Ils vont le faire pour découvrir la musique.

Quelles sont les problématiques d’un disquaire aujourd’hui ?

Les problématiques majeures que nous avons à l’heure actuelle sont d’abord liées au prix du disque. On n’arrête pas de se battre avec certains distributeurs. On trouve qu’ils exagèrent sur les prix des ventes, que le disque est cher. Bien sûr, tout est relatif : le prix moyen d’un disque aujourd’hui est de 22 euros, on peut comparer cela au prix d’un tee-shirt, à la différence que le vêtement partira à la poubelle après trois lavages alors qu’un disque se garde toute une vie. Mais malgré tout, si on arrivait à réguler le prix du disque, ce serait vraiment une bonne chose. La seconde problématique est liée à la TVA, qui n’est pas encore remise en cause. Je pense que ce serait bien de considérer la musique comme un produit culturel. Avoir une TVA identique à celle des livres serait une bonne chose. Plus globalement, tout va bien pour nous à l’heure actuelle.

Comment êtes-vous devenu disquaire ?

Une passion. J’ai commencé en 1978 en faisant des marchés. En 1987, la première boutique est née et portait déjà le nom de Croc Vinyl. Et aujourd’hui, on est toujours là.

Quelle est votre implication dans le Disquaire Day ?

Le mercredi 13 avril nous avons organisé le vernissage de l’artiste Pascal Comelade. Il a exposé ses œuvres et ses disques ont été proposés à la vente. C’est l’événement le plus important proposé par Croc Vinyl dans le cadre du Disquaire Day. Plus globalement, nous avons organisé avec Cédric du Laboratoire la soirée de clôture qui se déroule samedi 16 avril au Connexion Live. Pour nous c’est une fête et nous voulons que cette fête soit partagée avec les clients.

Le nombre de disquaires toulousains, est-ce une fierté ou une complexité ?

Sans mentir, je pense que l’on peut dire que Toulouse est la première ville en terme de disquaires, à population égale. Toulouse a toujours été une ville très étudiante avec une forte assise culturelle. Le fait d’être onze disquaires ici, cela crée une dynamique qui n’est pas inintéressante. Nous avons de bons rapports entre nous. 

Si vous deviez choisir un vinyle, lequel prendriez-vous ?

Je crois que j’en suis incapable, c’est mission impossible de choisir selon moi. J’aime vraiment trop de choses et ce serait faire du tort aux autres que de ne sélectionner qu’un seul vinyle.

Croc Vinyl, 12 rue des Lois, 31000 Toulouse. Tel : 05 61 23 79 90.